Il est toujours passionnant d’écouter publicitaires, marketeurs, sociologues, responsables d’études, imaginer et expliquer ce que seront les modes de consommation de demain. Les comprendre aide à deviner à quelles sauces nous seront mangés. On se souvient que le célèbre CCA (centre de communication avancée) avait annoncé il y a plus de dix ans, l’apparition de la valeur éthique, dont nous voyons aujourd’hui quelle déferlante elle est devenue ; une vague à laquelle aucune communication ne peut plus « durablement » échapper. De ce simple point de vue, il était judicieux de se rendre mardi et mercredi à l’invitation de l’hebdomadaire Stratégies, Newzy y étant partenaire, où se décryptaient les « tendances communications 2008 ». Plusieurs intervenants, experts, patrons d’agences, acteurs de la sphère web, y ont dessiné les contours des nouvelles approches publicitaires, des stratégies innovantes, souvent servies par des technologies numériques qui s’infiltrent dans chaque interstice de vos ordis, PDA, mobiles, portables. Tous multiples Ainsi, retiendrons-nous cette description émise par une étude du CREDOC : nous allons devenir, (ou sommes devenus) : des « individus infra-individuels », segmentés, aux comportements compartimentés et cloisonnés. Gustave est successivement cadre sup la journée, skater de cinq à sept, hard core gamer le week-end et blogueur les nuits d’insomnie. Il ne s’agit plus pour l’annonceur de LE toucher comme une cible, mais de capter au bon moment « LE » Gustave qui l’intéresse. En somme, on nous explique que nous sommes tous menacés du syndrome de personnalité multiple… Et personne ne s’en inquiète. Connectés sur le Net, nous sommes régis par cinq dimensions comportementales majeures : le besoin d’appartenance nous pousse à rejoindre des communautés, mais de façon fluctuante et temporaire. Nous y croisons nos pairs, à qui nous demandons leur avis, comme à des experts qui seraient avant tout… des compères. Nous sommes également mus par le besoin de reliance, ce fameux lien social qui est d’autant plus facilité par les technologies que les marques n’ont aucune envie de nous voir nous éparpiller dans la nature ! D’où cette obsession de la fidélisation. Nous avons aussi besoin de « résilience » terme inventé par le psychiatre Cyrulnik, c’est à dire de l’expérience des autres pour dépasser nos propres traumatismes. Enfin, nous exigeons de plus en plus, des offres personnalisées, dont nous voulons être initiateurs et coproducteurs et qui nous apportent des solutions globales. En gros, tout, tout de suite, et comme on veut. Après le B to C, le C to B Plus que jamais l’individu, la personne, le One and Only, va devenir roi de ce qu’il restera de la planète. C’est ce que confirme Françoise Bonnal, présidente de Brand & Business Consulting (groupe DDB), pour qui il ne faut plus parler de « B to C » (business to consumer) mais de « C to B » (consumer to business). Plus l’offre de produits, de contenus, devient pléthorique, plus la relation entre la marque et le consommateur devient complexe et fragile. Déjà, on ne parle plus (depuis des années) de « cible publicitaire », mais de « stake holder » (partie prenante). La marque a face à elle de multiples satellites, qui sont les clients, les prospects, les associations, les actionnaires, les groupes de pressions… A chacun il faut tenir un discours complexe, car le même interlocuteur est tout à la fois ou successivement, consommateur, spectateur, et citoyen. La relation que la marque doit construire avec lui devient de plus en plus « mosaïque », et subtile. On ne nous parle plus UN discours. On cherche à capter notre attention par tous les sens (apparition des marketings sensoriels, olfactifs, sonores, etc.). Offrir une apparence de contenus C’est que de notre côté, de consommateurs nous sommes devenus consomm’acteurs. Sur le web, nous donnons notre avis, faisons et défaisons les réputations... Puisqu’on nous le demande ! Mais il faut aussi nous séduire. Et pour cela, assouvir notre besoin de divertissement (redéfini par Vivendi comme « vital » dans une campagne bien connue) et d’éthique. Pour convaincre ces deux exigeants qui sommeillent en nous, la marque ne peut plus se contenter de vendre et promouvoir son produit, comme au bon vieux temps. Elle doit à la fois promettre, tenir sa promesse, être irréprochable, transparente, vertueuse. Puis séduire par tous les moyens nécessaires : elle redevient ainsi productrice de contenus. Comme jadis les marques de lessives sponsorisaient les « soap opéras », elles coproduisent aujourd’hui des programmes courts, des sitcoms, voire des shows… Parler à tous comme s'ils n'étaient qu'un Les usagers internautes, mobilautes, dès lors qu’ils cessent d’être téléphages au-delà du raisonnable, intéressent tous les placeurs de produits d’où qu’ils viennent. Ce sont eux qui dessinent les attentes exprimées comme primordiales. Et là encore, se dessinent en creux les possibles dangers de nos mignonnes schizophrénies : nous voulons à la fois nous distinguer du lot, et vivre pleinement nos désirs d’appartenance. Nous voulons sur le web de l’utilitaire et de l’émotion. Mais nos attentes évoluent selon les âges. Jeune, Internet est pour nous un vecteur d’information. Puis il devient un « outil pratique », « utilitaire », avant de devenir l’âge venant, un moyen de « distraction ». Pour que le tableau soit complet, quelques intervenants ont insisté sur l’affirmation de nos pulsions « tribales », et des valeurs proches de l’archaïsme : s’éclater, se ré-enraciner, affirmer sa fidélité, son « engagement » à l’égard de la marque. Le portrait n’est donc pas que rose. Seul réconfort, entendre ces doctes spécialistes évoquer l’avenir à l’horizon 2015, comme une évidente déclinaison d’aujourd’hui, peut laisser dubitatif. Si l’on songe où l’on en était d’Internet, il y a dix ans, on peut se dire, selon qu’on soit ou non porté vers l’optimisme, que nous saurons bien garder notre libre arbitre, notre distance d’individus libres… ou que nous céderons sans sourciller à la possible tyrannie de cette omniprésence des marques, qui serait aussi au cœur de notre désir… |